Quels bénéfices retirer d’une institution robuste ?
Et si une institution robuste n’était pas une forteresse, mais un organisme vivant ? Dans un monde incertain, quel serait l’intérêt d’universités capables d’évoluer sans se dénaturer, de résister sans se rigidifier ? Une gouvernance inspirée par la lenteur, l’hétérogénéité ou même l’inachèvement peut-elle devenir un levier de vitalité ?
Nous vous invitons à accompagner la réflexion. Un telle université serait-elle utopiste ? Aurions-nous envie d'y travailler ? Quels seraient ces avantages ? Mais aussi ces limites ? Cela est-il soutenable ?
Imaginer une université comme un organisme vivant, à la manière d’Olivier Hamant, c’est renoncer à l’idéal de maîtrise et de linéarité. Le vivant, dans son essence, est robuste non pas parce qu’il résiste frontalement, mais parce qu’il fluctue, ralentit, bifurque, coopère. Une institution vivante n’est ni figée ni parfaitement pilotable : elle tient dans le temps par sa capacité à absorber l’incertitude, à apprendre de l’erreur, à évoluer sans modèle unique.
Une telle université ne serait pas un sanctuaire de certitudes, mais un écosystème de savoirs et de pratiques, ouvert à l’inachèvement, à l’hétérogénéité, à la lenteur. Elle ne viserait pas l’excellence au sens productiviste, mais la fertilité collective : celle qui naît du frottement, du débat, du temps long.
Travailler dans cette université ? Oui, si l’on accepte que l’efficacité ne soit plus mesurée en rendement immédiat mais en capacité à durer sans se dénaturer. Cela suppose une gouvernance souple, un cadre qui autorise l’imprévu, et surtout une redéfinition de ce que signifie “réussir”.
Cela heurte frontalement les logiques dominantes de compétition, de standardisation et de mesure. Mais au fond, la question n’est-elle pas là : voulons-nous continuer à piloter nos institutions comme des machines, ou sommes-nous prêts à les cultiver comme des milieux vivants ?
Cette université-là n’est pas un rêve naïf. Elle est une nécessité vitale — même, et surtout, à contre-courant.
Attention toutefois au danger du "naturalisme" (bien épinglé par Marcel Gauchet dans ses conférences aux Bernardins sur l'éducation). Un cerveau n'est pas un ordinateur. Une université n'est pas une forêt. Les métaphores peuvent aider mais ont leur limite.
Oui, je suis d'accord. Mais, dans ce cas, et sans en accepter tous les contours, il me semble que ce type de métaphore ou d'analogie offre un cadre réflexif qui nous permet de penser hors du champ classique de notre discipline. Et rien que pour ça, je trouve que c'est pertinent. Comme je le disais sur un autre fil, pour moi, ce collectif est une sorte de rhizome, comme le définissent Deleuze et Guattari. Je ne plaide pas pour créer une forme de dogme autour de la pensée d'O.H., mais plutôt pour en tester les contours dans le cadre de l'enseignement supérieur. On verra si cette voie est porteuse — je n'en sais rien. Mais la suivre un moment est, en tout cas, stimulant, me semble-t-il, et nos échanges le prouvent :). Et si le collectif nous emmène ailleurs, j'en serai aussi ravi :)
Bonjour à tous et toutes et merci pour ces réflexions très riches !
Une question qui me taraude personnellement, me semble toutefois absente de tous ces échanges (mais peut-être que je me trompe, je n'ai pas tout lu :)) : Quelle est la fonction que l'on souhaite voir l'université adopter dans la société ? Quel est son rôle spécifique ? Si la réponse est "former des citoyens critiques, robustes et responsables", cela ne devrait-il pas plutôt rester l'apanage de l'enseignement obligatoire ?
Dans la mesure où l'université reste avant tout (bien qu'on puisse le déplorer) une institution productrice de distinction sociale au sein de la société, comment cela peut-il s'articuler avec le concept de robustesse ? Les distinctions sociales générées par la production d'individus diplômés sont-elles souhaitables dans une société "robuste" ? Sinon, quel autre rôle l'université pourrait-elle endosser ?
Merci Marie pour ce commentaire qui, à mes yeux, remet l’essentiel au centre du débat.
On parle souvent de pédagogie robuste sous l’angle des méthodes, des compétences ou des postures… mais rarement de la finalité profonde de l’université. Et sans cette boussole, la robustesse risque en effet de n’être qu’un mot séduisant sans portée réelle.
Tu soulèves aussi un paradoxe majeur : comment prétendre contribuer à une société plus résiliente, coopérative et durable, si l’université reste, consciemment ou non, un outil de distinction et de hiérarchisation sociale ? Cette tension mérite d’être nommée, car elle conditionne la nature même du projet éducatif.
Pour ma part, je crois que l’université pourrait devenir bien plus qu’un « passage » ou un filtre : elle pourrait être un véritable laboratoire de robustesse sociale, un lieu d’expérimentation collectif où se croisent les savoirs, les générations, les disciplines et les acteurs du territoire. Non plus un lieu qui sélectionne, mais un lieu qui élève et relie.
La formation de citoyens critiques et responsables ne devrait pas s’arrêter à l’enseignement obligatoire ; elle devrait au contraire trouver à l’université un espace de maturation, de débat et d’engagement. C’est peut-être là que réside le prochain grand rôle de l’institution : devenir un accélérateur de robustesse démocratique.