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Faire émerger une pédagogie de la robustesse : premiers résultats

Démarré par Camille Larcin dans Les travaux de Camille 22 avril 2025 16:09

Dans le prolongement de cette méthodologie, nous avons exploré les sept caractéristiques du vivant identifiées par Olivier Hamant et leur transposition dans le champ pédagogique.

·       La lenteur se révèle dans sa dimension exploratoire comme vecteur de maturation cognitive et d'ancrage des apprentissages. Elle constitue une posture quasi politique d'opposition aux rythmes institutionnels dominants, s'inscrivant dans une logique d'anti-rentabilité immédiate au profit d'une efficacité à long terme. Cette caractéristique, bien que pouvant générer un inconfort initial et un sentiment d'atypicité potentiellement perturbant, favorise une qualité d'apprentissage respectueuse des temporalités humaines.

·       L'inachèvement s'inscrit dans une conception processuelle de l'apprentissage où l'acquisition des savoirs demeure perpétuellement ouverte. L'analyse révèle la perfectibilité inhérente aux démarches formatives, établissant une relation dialectique avec le concept d'inefficacité : soit dans une conception déficitaire prévalente dans les paradigmes normatifs, soit comme valorisation de l'ouverture des horizons cognitifs. Les données mettent en évidence une bipolarité vitaliste oscillant entre dynamique créative - caractérisée par le mouvement perpétuel et l'éducation permanente - et fonctionnalité organisationnelle structurant et maintenant le processus. Cette propriété positionne les acteurs éducatifs dans un état d'inachèvement potentiel permanent, bien que son intégration se heurte à des résistances liées aux affects négatifs qu'elle suscite et à la prégnance des conceptions centrées sur le produit fini.

·       La redondance se manifeste comme une ambivalence constitutive de la pratique pédagogique. Fondamentalement orthodoxe dans sa dimension répétitive, elle oscille entre risque d'ennui et potentialité d'approfondissement spiralaire. Sa valeur réside dans l'établissement de rituels structurants et dans le développement de chemins cognitifs multiples, permettant l'émergence d'une appropriation personnalisée des savoirs. La redondance méthodologique, judicieusement orchestrée, favorise une redondance génératrice de compétences.

·       L'incohérence est valorisée comme expression de notre humanité, invitant à une posture d'humilité épistémique. Elle stimule les conflits socio-cognitifs nécessaires à l'élaboration d'une pensée complexe, nourrissant le questionnement, le doute et la créativité. Son intégration pédagogique requiert néanmoins un management équilibré pour prévenir les difficultés excessives qu'elle pourrait engendrer pour les apprenants et les enseignants.

·       L'hétérogénéité est appréhendée comme caractéristique inhérente à toute situation pédagogique, constituant simultanément un défi et une richesse. Génératrice d'incertitude, elle nécessite des capacités adaptatives accrues, mais se révèle source d'exploration et moteur de créativité. Sa traduction pédagogique s'opère par des pratiques de différenciation et une diversification méthodologique qui, ultimement, contribuent à l'élaboration de solutions d'apprentissage riches, solides et équitables.

·       L'inefficacité apparente des situations pédagogiques peut, lorsqu'elle est intentionnellement intégrée, constituer un espace d'apprentissage fécond. Le requestionnement des objectifs initiaux qu'elle suscite permet le développement de compétences transversales telles que la créativité et l'approfondissement qualitatif des connaissances. Plusieurs dispositifs peuvent favoriser cette approche : pédagogie de l'hésitation, valorisation de l'erreur comme vecteur d'apprentissage, démarches expérimentales. Cette reconceptualisation de l'efficacité requiert toutefois une posture enseignante capable de résister aux cadres normatifs dominants.

·       L'incertitude est conceptualisée comme processus émergent des interactions systémiques, état transitoire générant un inconfort cognitif potentiellement fécond. Son appréhension requiert une approche systémique permettant de saisir les dynamiques complexes qui la sous-tendent et les opportunités d'apprentissage qu'elle recèle, notamment dans l'acceptation du renoncement au contrôle absolu.

Ces propriétés biologiques, transposées à la pédagogie, offrent une alternative féconde aux logiques normatives dominantes. Elles invitent à penser des dispositifs d'enseignement non pas malgré ces caractéristiques, mais grâce à elles.

Je serais très intéressée de recueillir vos réactions à cette approche. Que vous inspirent ces transpositions ? Voyez-vous des ponts possibles avec d'autres cadres théoriques ou références pédagogiques ?


heart plusone heart plusone plusone heart heart plusone
22 avril 2025 17:53

Bonsoir Camille

Je te remercie de ta contribution. Je l'ai lue une première fois. Je vais vraisemblablement la lire une seconde fois car les informations sont ... robustes. Il eut été bien de contextualiser les sept (magic number seven) caractéristiques au moyen d'exemples concrets qui pourraient en faciliter l'appropriation. J'ai ai profite pour en savoir plus sur Olivier Hamant. Voici un lien qui m'a permis de prendre du recul. https://prof.scienceshumaines.be/robustesse-des-territoires/ 

See you

heart plusone
23 avril 2025 10:23

Difficile Camille de résister à ce genre de « provocation 😊 ». Je suis un peu débordée par les relectures mais je ne résiste pas au plaisir intellectuel de lier, spontanément et sans vraiment avoir le temps de creuser plus loin, quelques idées « évidentes » que m’évoquent ces piliers.

Ainsi et sans aller très très loin (mais j’y reviendrai certainement) je vois des liens (faciles) avec les courants pédagogiques suivants :

Pour la lenteur, je ne peux m’empêcher de faire des liens avec les rythmes d’apprentissage, si souvent allégués dans la pédagogie « Montessori » qui met un point d’honneur à déclarer (en tout cas des intentions) à respecter les rythmes des enfants. A cet égard, il est possible que ce soit ce même principe qui soit convoqué dans le fait que nous ne soyons plus en vacances en même temps que les flamands :-).
On peut aussi probablement considérer que l’apprentissage en profondeur est indiscutablement lié au temps nécessaire pour dépasser le survol de l’apprentissage superficiel. Enfin, dans "les dix caractéristiques des activités motivantes" Viau donne le "temps nécessaire accordé" comme l'une d'entre elles. 

A propos de l’inachèvement, être un praticien réflexif dans l’acception de Schön, c’est « ne jamais se croire arrivé », remettre constamment l’ouvrage sur le métier (même si ici on considère que l’apprenant c’est le prof !)

Pour la redondance, cela m’évoque l’apprentissage en spirale, mais je ne me souviens pas de l’auteur là tout de suite.

Pour l’incohérence, en tout cas apparente, je ne peux que me dire que c’est ce que l’on expérimente dans la discussion, l’argumentation, le débat, où le déséquilibre cognitif valorise la contradiction des idées, qui est source d’apprentissage. Piaget bien sûr.
Pour avoir accompagné des enseignants donnant « cours de rien » (je rigole, bien sûr) je veux dire des cours de morale et de citoyenneté, j’ai croisé la référence de Johnson & Johnson, (1995) sur la pédagogie de la controverse mais je n’en sais pas beaucoup plus. Peut-être à creuser.

Pour l’hétérogénéité, là j’avoue que je plonge sans hésiter sur la Conception Universelle de l’Apprentissage, dont j’ai (un peu) développé les Grands Principes Directeurs dans un autre fil de discussion (voir les liens). Camille (et chers collègues de l’Uliège) je vous invite d'ailleurs si cela vous intéresse (la gestion de l'hétérogénéité en amont) à participer à la formation IFRES intitulée « Comment enseigner pour tous ? Premiers pas vers la pédagogie universelle » qui aura lieu le 19 juin matin.
C’était le moment placement de produit.

Pour l’inefficacité apparente, je pense évidemment à la Pédagogie par Projet, qui offre ou devrait offrir la possibilité (temporelle et organisationnelle) de tâtonner, d’avancer, de reculer pour mieux sauter. Cet item cumule aussi la notion de lenteur, et si c’est un projet de groupe, la notion d’hétérogénéité et d’incohérence sont aussi de chouettes petits moteurs. Vérifier si Houssaye ne dit pas un truc sur l’intérêt de l’approximation… Dans le cycle de Kolb également les éléments perfectibles identifiés sont source d’apprentissage.

Pour l’incertitude ça c’est facile, on pense tout de suite à l’apprentissage par problème, en notamment aux séances d’APP en médecine, que nous connaissons assez bien, où l’enseignant qui rédige le cas n’a pas forcément lui-même la ou les réponses. D’ailleurs, l’utilisation du test de concordance de scripts en évaluation montre bien cela : qu’il y a de l’incertitude dans les réponses possibles et que c’est cela qui fait la force de cette méthode, dans des disciplines ouvertes comme la médecine.

J’espère que ces premières impressions « à la grosse louche » pourront ouvrir le débat.
merci en tout cas pour ces petits défis de début de journée, c’est sympa !

 

Catherine

 

Par contre, je n’avais jamais entendu parler de la « biopédagogie » de Claire Héber-Suffrin (?), qui sort dans google scholar à l’énoncé des mots-clefs "biologie" et "pédagogie". J’espère que j’en apprendra plus avec toi !

 


heart heart plusone plusone heart rocket
24 avril 2025 11:35

Bonjour et merci pour partage très intéressant et enrichissant!

Je suis très sensible à l’idée d’enraciner la réflexion pédagogique dans les logiques du vivant. Cette approche rhizomique m’apparaît, personnellement, très féconde. 

Votre cadre m’a immédiatement évoqué plusieurs références et échos que je me permets de partager avec un grand plaisir :

  • La théorie de la complexité d’Edgar Morin (1990), prolongée par les analyses de Raymond Ardoino (2000), permet de penser l’acte éducatif comme traversé de tensions, de logiques plurielles, d’incertitudes fertiles et de contradictions fécondes.
  • Le concept d’apprenance de Philippe Carré (2005), dans sa dimension d’autorégulation et d’ouverture à l’inattendu, me semble également tout à fait pertinent ici.
  • Les réflexions  sur le care en éducation (Tronto, 1993 ; Puig de la Bellacasa, 2017) sont, à mon avis, enrichissantes dans cette perspective.

En tant qu’enseignant-chercheur à l’Université Libanaise, membre des commissions en charge de l’élaboration du nouveau curriculum national, et ancien enseignant dans l’enseignement préuniversitaire (cycles fondamental, complémentaire et secondaire), je me rends compte combien ces principes entrent en tension avec les logiques très normatives qui structurent l’éducation au Liban.

Néanmoins, je suis persuadé que les caractéristiques du vivant – lenteur, inachèvement, hétérogénéité, inefficacité apparente – pourraient jouer un rôle décisif dans la transformation des pratiques d’enseignement dans le supérieur, mais aussi dès les premiers niveaux scolaires.

Je me demande, par ailleurs,  si nous ne pourrions pas aussi envisager une typologie des résistances à la pédagogie de la robustesse, tant du côté des enseignants que des institutions. Quelles stratégies adopter pour favoriser l’acceptabilité de cette approche, notamment dans les systèmes éducatifs contraints par les logiques de conformité, d’évaluation normative et de contrôle ?

Merci encore pour ce cadre inspirant et au plaisir de poursuivre les échanges,

Wassim El-Khatib
Université Libanaise – Faculté de Pédagogie
Enseignant-chercheur | Membre des commissions de réforme curriculaire | Ex-enseignant du préuniversitaire

heart plusone plusone plusone
24 avril 2025 14:49

Bonjour,

Je rebondis sur les idées qui sont fort intéressantes et qui, effectivement comme vous le soulignez, se trouvent parfois en tension voire même en confrontation avec nos logiques institutionnelles (vitesse de diplomation, abandon et/ou réorientation vus comme un échec, évitement des redondances, développement de certitudes, etc.). Il serait intéressant de voir comment les sept caractéristiques du vivant identifiées par Olivier Hamant peuvent être mises en résonance avec le modèle des conceptions de l'université de Larouche et al. (2012).

Christelle

Larouche, C., Savard, D., Héon, L. et Moisset, J.-J. (2012). Typologie des conceptions des universités en vue d’en évaluer la performance : rendre compte de la diversité pour en saisir la complexité. Canadian Journal of Higher Education/Revue canadienne d’enseignement supérieur, 42(3), 45-64.

https://www.erudit.org/fr/revues/mee/2014-v37-n2-mee02443/1035912ar/

https://www.erudit.org/fr/revues/rot/2018-v27-n1-rot07084/1090167ar.pdf


heart heart
24 avril 2025 14:50

 

Christelle Lison
2025-04-24 14:50:07
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plusone
25 avril 2025 09:59

Merci, cher @el-khatib Wassim et chère @christelle-lison. J'ai vu que @camille-larcin était entrain de lire le texte de Larouche :). 

Selon moi, dans un système centralisé, où les normes sont imposées par le haut et les pratiques fortement encadrées, la transition vers une logique de complexité ne peut se faire par rupture, mais par infiltration progressive. L'histoire nous le montre, dans les systèmes fortement centralisés et normatifs, le changement ne vient pas toujours d’une décision imposée par le sommet, mais souvent de l’action persistante de minorités actives, qui, par leurs pratiques, leurs discours et leur exemplarité, introduisent des bifurcations dans les routines établies. Cette idée permet de penser le changement non pas comme un basculement global, mais comme un phénomène émergent et diffus, initié à la marge du système : nous :)

Moscovici, par exemple, a montré que les minorités cohérentes, consistantes dans leurs prises de position, pouvaient influencer les majorités, non par la force ou le nombre, mais par leur capacité à incarner une vision alternative crédible. Cette influence minoritaire, souvent invisible dans un premier temps, agit comme un facteur d’innovation sociale. Dans une perspective systémique, on pourrait dire que ces minorités introduisent une perturbation locale, qui, en se propageant par des effets de réseau ou de résonance, peut reconfigurer l’équilibre global du système.

Cela me semble tout à fait compatible avec la robustesse en pédagogie. Une minorité peut renforcer la robustesse d’un système non pas en imposant un modèle unique, mais en introduisant de la variabilité, en mettant à l’épreuve les normes existantes, et en testant leur plasticité. Ces pratiques minoritaires jouent ainsi un rôle "d’agent perturbateur fécond", catalysant des ajustements progressifs du système.

L'idée n'est pas d’attaque directement l'aspect normatif de l'enseignement, mais d'en augmenter les perspectives, de la fissurer en montrant son incohérence ou de la déplacent subtilement, jusqu’à rendre possible un changement d’échelle.

Dans ce contexte, trois leviers principaux me semblent pertinent :

  1. Créer des marges de manœuvre locales :
    En ouvrant des espaces d’autonomie pédagogique, même limités, on permet l’émergence d’expérimentations qui peuvent démontrer, par leur efficacité concrète, la valeur d’une approche plus complexe. Ces marges deviennent alors des laboratoires d’adaptabilité, capables de nourrir le système global. Chacun de nous mettons cela en place dans nos cours mais l'ancrer sous le blason de la robustesse peut donner une force collective à nos mouvements individuels

  2. Institutionnaliser la diversité comme ressource :
    Plutôt que de viser l’uniformité des pratiques, il s’agit de reconnaître la diversité des profils, des contextes et des trajectoires comme un levier de robustesse. En complexité, la redondance et la pluralité des chemins renforcent la résilience du système face aux perturbations. C'est la diversité de certains qui apermis une adaptabilité plus rapide lors du COVID. 

  3. Valoriser les dynamiques de rétroaction et de co-construction :
    Encourager la circulation des informations depuis le terrain vers les instances de décision permet de construire un pilotage plus adaptatif. En intégrant les boucles de rétroaction au sein même des circuits de gouvernance, on transforme progressivement un système descendant en un écosystème apprenant. Là, ce n'est pas toujours gagné, mais mon institution, par exemple, est très à l'écoute de ce mouvement. N'est-ce pas @frederic-schoenaers :) qui m'a permis de présenter le projet "Pédagogie de la Robustesse" à l'ensemble des Vice-Doyens à l'enseignement de mon institutions

Ainsi, toujours selon moi, la transformation d’un système normatif en système inspiré de la pensée complexe ne suppose pas nécessairement un renversement idéologique, mais plutôt une évolution du regard porté sur la régulation, la norme et la finalité éducative. Il s’agit moins de supprimer les cadres que de les assouplir, pour y intégrer une logique d’adaptabilité, de relation, et d’apprentissage permanent.


heart rocket plusone
25 avril 2025 10:25

Je suis ravie de faire partie de ce groupe d'echanges. .

Cette reflexion ensemble sur la pedagogie robustesse nous permettra de reorienter notre strategie pedagogique au niveau universitaire mais aussi scolaire.

Au plaisir de poursuivre les discussions 

heart heart
25 avril 2025 14:17

@pascal-detroz ,

Je suis tout à fait en accord avec les trois leviers que tu énonces. Si on y ajoute "une couche" micro-meso-macro, nous comprenons que nous avons la possibilité de mettre en place cette transformation silencieuse dont parle François Jullien. Il me semble que cela nous "force" à penser que nous ne sommes pas toujours autant qu'on ne le pense ou le dit dans une "incapacité de faire autrement" et que tout ne se fait pas "à l'insu de notre plein gré" ;-)

Christelle

heart heart
26 avril 2025 11:27

En complément de cette contribution voir  les échanges qui ont questionné certaines de ces questions autour du Retour d'expérience d'un cours à Rennes 2 lors du premier cercle apprenant "Robustesse et enseignement"

heart
27 avril 2025 16:18

D'accord avec la stratégie de changement argumentée par Pascal. Les réformes venant du haut sont très rarement efficaces par elles-mêmes. La référence à Moscovici est tout à fait pertinente. L'argumentation conduit logiquement aux trois piliers. Le plus difficile à mes yeux, c'est le deux: est-il possible d'institutionnaliser la diversité?

Quels argument pour me convaincre sur ce point?


heart
28 avril 2025 15:31

Des arguments je ne sais pas trop, mais des suggestions d'actions (dont certaines en cours) ça j'en imagine quelques-unes...

Notre université devrait, pour que cela marche, partir du principe que la diversité n’est pas une option mais une composante essentielle de la qualité de l’enseignement quelle dispense, parce qu’elle enrichit l’apprentissage des apprenants et qu’elle les prépare mieux à évoluer dans un mode complexe.

A cet égard, les efforts entrepris veilleraient notamment à ce que tous les membres de la communauté universitaire partage idéalement cette responsabilité de promouvoir la diversité. Ceux qui sont déjà là et ceux qui viendront.

Pour les actions concrètes à mettre en place, l’institution peut réfléchir, avec ceux qui sont déjà là, aux qualités (en termes de robustesse) d’ores et déjà présentes de leurs postures et de leurs actions. Les aider à en faire un diagnostic (en proposant des outils adaptés ou construits) et les accompagner dans une amélioration, via des formations et/ou des accompagnements individuels ou collectifs. L’institution pourrait suggérer à tous les enseignants en poste de revoir leurs engagements pédagogiques et de réfléchir à l’inclusion de perspectives multiples, comme des auteurs de références d’origines différentes, des approches théoriques variées, des modalités d’apprentissages innovantes, des procédures d’évaluation pluri-modales. Le canevas de ces engagements pédagogiques (à l’instar du point « plagiat » et (peut-être ?) de lecture de la charte d’utilisation de l’IA ) pourrait contenir un point en lien avec la place de la diversité dans le cours. Cela « obligerait » chacun à se poser la question. Notre institution pourrait proposer davantage de formations pédagogiques destinées à ses enseignants dans ces matières (il en existe déjà plusieurs dans notre catalogue).
Le foisonnement des bonnes idées partagées ici donne une première preuve de l’intérêt des collègues pour le sujet ! Il serait dès lors intéressant (mais je ne doute pas que ce soit un des objectifs de Camille !) de les collecter (comme c’est le cas sur ce site mais encore plus largement) non seulement pour provoquer une saine émulation mais aussi et surtout pour les valoriser, les mettre à disposition de tous en les « modélisant ». En identifiant leurs invariants (au-delà de la discipline matière où ils se déploient) cela augmenterait leurs « utilisabilité » en facilitant la manière dont des collègues pourraient en adopter les principes pour les transférer dans leurs propres actions pédagogiques.

Cette capacité à promouvoir la diversité pédagogique pourrait intervenir comme un critère de promotion ou de titularisation au même titre que ceux qui sont déjà présents, mais également faire partie des critères de recrutement de nouveaux enseignants. Pour cela, l’institution pourrait s’entourer de personnes ressources pour identifier et rédiger les profils d’engagement de ces futurs collaborateurs. Quelles sont les « nouvelles » qualités, différentes de celles mentionnées jusqu’ici qu’il convient de rechercher ?  
Avant même que les enseignants entrent dans leurs classes, l’institution pourrait s’intéresser à leur diversité, à leurs origines géographiques ou ethniques, à la variété de leurs expériences, à leur ouverture, leur sensibilité et leur adhésion aux idées en phases avec une pédagogie de la robustesse au sens large. Comme c’est le cas à certains niveaux politiques (notamment pour la parité hommes/femmes) l’institution pourrait s’interroger sur l’intérêt d’imposer ou non cette diversité.

L’institution pourrait investir dans du matériel ou des infrastructures favorisant des formes plus robustes d’apprentissage, comme des espaces de travail plus ouverts ou l’organisation d’ateliers privilégiant d’autres formes d’expression que les formes papier ou numériques traditionnelles.

L’institution pourrait impliquer, notamment en leur donnant la possibilité d’évaluer ses efforts en termes de diversité.

Dans ces éléments, il y a du faisable à petite échelle et des actions qui doivent se décider bien plus haut (c'est dans la question, on parle de l'Institution!). Les "petites mains" n'ont pas voix au chapitre mais c'est gai de se poser ces questions!


plusone
28 avril 2025 19:15

@el-khatib et @pascal-detroz ,

J'adore cet échange et j'aime à lire la position des un-es et des autres. Succulent !

Je trouve que vos deux interventions se rejoignent dans le concept de boucle tétralogique d'Edgar Morin. Le normatif, chez Morin, c'est l'ordre. Et l'ordre qui n'est pas remis en discussion fait courir à l'ordre lui-même (l'institution) le risque de l'entropie (mort de l'institution par perte d'énergie). Maintenir l'énergie, c'est donc créer du désordre (ou de la variété chez Pascal D. selon moi), ou remettre en question les règles de l'organisation elle-même (penser la recherche d'organisation ou la référentialisation comme un processus toujours en mouvement et jamais abouti). Donc chez Morin, créer du désordre ou questionner la règle de création de l'ordre pour luter contre l'entropie. 

Mais reste cette délicate (et délicieuse) question posée par @marcel-crahay : "est-il possible d'institutionnaliser la diversité ?" Et là, de me dire que si la diversité est institutionnalisée, elle devient un nouvel ordre. Et si ce nouvel ordre (nouvelle norme) n'est pas bousculé, ne va-t-il pas, lui aussi, souffrir d'entropie ?

28 avril 2025 19:46

@christophe-gremion

C'est exactement ça! Pour "survivre", un établissement se doit d'être dans une dynamique processuelle. En même temps, il faut des moments de stabilisation pour permettre aux individus de retrouver leur équilibre. Toutefois, c'est dans le déséquilibre (au sens du gap) que les apprentissages se font. On peut ici évoquer les concepts d'organisation apprenante et d'environnement capacitant, mais il ne faut jamais perdre de vue que les organisations ne vivent jamais par elles-mêmes. Ce sont les individus qui les "forment". Parfois on entend "L'université a décidé...", mais l'Université, c'est NOUS. On doit être plus précis pour comprendre et entendre les acteurs (comité de gouvernance, professeurs, personnels administratifs, étudiants, membres du CA, donateurs...). Dans cette optique, la diversité n'est-elle pas "plus" un intrant qu'un extrant?

Christelle

9 mai 2025 17:21

Plutôt que de chercher à institutionnaliser la diversité comme un contenu ou un objectif en soi, ne gagnerait-on pas à institutionnaliser la capacité à faire place à la diversité, à en accueillir les manifestations et les effets dans les processus, les décisions, les critères de légitimité ?

Cela suppose une double exigence :

  1. Créer des dispositifs souples, capables de s’ajuster à des profils, des approches, des besoins variés sans chercher à les homogénéiser trop vite (dans les curricula, dans les pratiques évaluatives, dans les formes de reconnaissance académique) ;

  2. Cultiver une culture organisationnelle réflexive, qui reconnaît que toute norme (même progressiste) a besoin d’être discutée, déplacée, parfois contredite.

Institutionnaliser la diversité ne signifierait donc pas figer des quotas ou cocher des cases, mais ancrer dans l’institution des pratiques, des mécanismes et des espaces qui permettent à la pluralité de produire ses effets y compris des effets de friction, de remise en question, de déplacement des repères.

Cela exige aussi de penser le temps : la diversité comme processus, non comme état. Une institution ne devient pas "diverse", elle s’efforce de le rester, au prix d’un certain inconfort parfois, mais aussi d’une vitalité réelle.


heart rocket
10 mai 2025 16:58

Excellente réflexion, merci Camille !

Je croche juste sur un bout de phrase : "sans chercher à les homogénéiser trop vite" mais donc en cherchant à les homogénéiser bientôt, plus tard ? Les dispositifs pourraient rester toujours souples et adaptés. C'est par contre, pour moi, la notion d'exigence qui se doit de rester homogène, pour permettre le fonctionnement de la société.

Christophe

heart plusone
10 mai 2025 18:25

Cela ne me semble pas incompatible avec l’exigence, à condition que les chemins pour répondre à cette exigence puissent être multiples, contextualisés, et ouverts à la discussion. Cela implique aussi de repenser nos critères d’évaluation : que reconnaît-on ? Que valorise-t-on ? Et selon quelles modalités ?

Ce qui m’intéresse, c’est précisément cette tension fertile entre ce qui doit tenir (les finalités, les valeurs partagées) et ce qui peut bouger (les formes, les parcours, les dispositifs).

Très curieuse de lire comment toi (et les autres !) vous articulez cette tension dans vos pratiques :)


heart
12 mai 2025 09:50

"Ce qui m’intéresse, c’est précisément cette tension fertile entre ce qui doit tenir (les finalités, les valeurs partagées) et ce qui peut bouger (les formes, les parcours, les dispositifs)".

Ta phrase, Camille, m'évoque illico une posture souvent évoquée dans l'accompagnement pédagogique, celle "d'ami-critique". A. Jorro le définit comme une figure d'accompagnement professionnel qui allie bienveillance et exigence. Cette posture vise à soutenir le développement professionnel des enseignants en aidant les aidant à réfléchir sur ses pratiques, sans imposer de normes, mais en encourageant une analyse réflexive.

Transposer cette posture à la relation enseignant-étudiant implique que l'enseignant adopte une attitude qui est davantage de l’accompagnement, où il soutient l'étudiant dans son apprentissage en l'aidant à analyser ses propres pratiques et raisonnements. Cela favorise une pédagogie où les finalités sont maintenues, tout en permettant une certaine flexibilité dans les méthodes et parcours d'apprentissage.

Elle est je trouve assez claire à transmettre à l’apprenant :  L’enseignant-ami critique n’est pas un enseignant "cool" ou "laxiste", mais un enseignant exigeant et impliqué, qui fait confiance aux ressources d’intelligence et d’engagement de l’autre.

Jorro, A. (2006). Devenir ami critique. Avec quelles compétences et quels gestes professionnels?. Mesure et évaluation en éducation, 29(1), 31-44.


heart heart plusone
12 mai 2025 13:55

Merci beaucoup pour la richesse de ces échanges. C'est très inspirant et stimulant :-). 

Concernant la caractéristique de l'incertitude j'y ai fait référence dans ma thèse en lien avec les travaux de Mathias Urban. Il invite à penser une posture professionnelle qui assume l’incertitude – notamment dans le domaine de la petite enfance – non pas comme un déficit ou un danger, mais comme une donnée structurelle des contextes éducatifs complexes. Il parle à ce titre de professionalism-in-context, en opposition à une posture experte fermée sur elle-même, et défend une professionnalité dialogique, collective et réflexive (Urban, 2008). Voici deux références qui me semblent pertinentes :

Urban, M. (2008). Dealing with uncertainty: Challenges and possibilities for the early childhood profession. European Early Childhood Education Research Journal, 16(2), 135–152.
Urban, M., Vandenbroeck, M., Van Laere, K., Lazzari, A., & Peeters, J. (2011). Competence requirements in early childhood education and care: A study for the European Commission.

Par ailleurs – même si je maîtrise encore mal cette pensée –, j’avais envisagé, dans le cadre de ma thèse, de faire dialoguer cette réflexion sur l’incertitude avec la notion "d’écart" chez François Jullien. De ce que j’en ai retenu, il y développe l’idée que "l’écart", loin d’être une simple distance ou une opposition entre deux pôles, désigne plutôt un décalage entre des points de vue, des référentiels ou des manières de penser, qui permet de faire surgir du nouveau. Il ne s’agit pas de choisir entre l’un ou l’autre, ni de chercher à réduire l’écart, mais de le maintenir, le cultiver même, pour qu’il devienne moteur de transformation. Cela m’avait paru intéressant pour penser une pédagogie qui ne cherche pas à résoudre l’incertitude, mais qui l’habite, à la manière dont on peut habiter un écart. Par exemple, lorsqu’un enseignant accueille dans sa classe un enfant issu d’un autre univers culturel et qu’il ne comprend pas immédiatement ses comportements ou ses références, il peut soit chercher à tout normaliser (réduire l’écart), soit rester dans cet entre-deux, suspendre son jugement, et créer un espace de dialogue, d’interprétation progressive. Cet écart (culturel dans mon exemple), au lieu d’être un obstacle, devient alors un levier pour interroger ses propres pratiques et inventer de nouvelles formes de cohabitation ou de transmission. Finalement, je ne l’ai pas mobilisé dans ma thèse, par manque de maîtrise, mais je reste assez convaincue qu'il s'agit d'une piste potentielle de réflexion. Voici une des références : 

Jullien, F. (2012). L’écart et l’entre. Ou comment penser l’altérité (FMSH-WP-2012-03). Fondation Maison des sciences de l’homme. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00677232/document

:-)



heart heart heart
23 mai 2025 08:47

Hello Camille

Bonjour à toutes et tous

Alors chère Camille : où en es-tu ?


De mon côté, je lis de façon ponctuelle les échanges, et je trouve que d'avoir réussi à motiver et faire participer plein de personnes de qualité sur les différents axes de discussion est, en soi, une potentielle voie pour la robustesse (en favorisant les gestes et actes de controverses/disputatio scientifiques, dans cadre simple et mobilisateur). Bravo donc à vous deux !

Autre chose, pour reprendre un bout de fil : "Ce qui m’intéresse, c’est précisément cette tension fertile entre ce qui doit tenir (les finalités, les valeurs partagées) et ce qui peut bouger (les formes, les parcours, les dispositifs)" disais-tu chère Camille. Catherine propose une résonance avec Jorro ; pour ma part, c'est le rapprochement entre le devoir ("ce qui doit tenir") et la cible du devoir : les finalités, les valeurs partagées.

Ce rapprochement ne va pas de soi, au risque par exemple d'amalgamer trop vite les valeurs avec les règles (ce qui ferait institutionnaliser et réguler), les normes (ce qui passe pour des comportements socialement acceptables/normaux/implicites/calibrés ou alors des structures de nature diverses coercitives) ou dautres phénomènes. Je crois comprendre que par ta formulation, tu souhaites exprimer que ce qui compte, c'est un en commun idéologique ou philosophique auquel nous pourrions, avec dautres personnes, nous repérer ; et favoriser une créativité dans les formes d'actions. Mais pour ce faire : faut-il nécessairement une morale, c'est a dire une composante qui vient dicter les limites ou les "bonnes" fondations à toute robustesse et activité assimilée ? 

En admettant que, même si les mots sont (un peu) fort (de café : mon réveil n'est pas très loin), oui, c'est une piste pertinente, se posera alors la question de comment vérifier que cette morale ou structure philosophique soit réellement réalisée et tenue ? Par qui ? Et qui l'etablirait ?

plusone
27 mai 2025 12:01

Il n'est pas si facile de rebondir dans une telle discussion d'une telle qualité et richesse. Je vais repartir du post initial avec les 7 caractéristiques du vivant robuste.

Mais d'abord, en vous lisant, je me rends compte que cette idée de la robustesse peut aisément être reliée (faire rhizome) à d'autres théories. Pour ajouter mon grain de sel, je vois de très grandes proximités avec les idées de l'écologie du développement humain de Bronfenbrenner. De même, il me semble que des liens avec les pédagogies proposées par les anarchistes me paraissent évidents, mais il me faudrait vérifier. Il faudra que j'étudie ces relations pour en faire un article. Il serait peut-être déjà judicieux de dresser une liste de tous les liens et d'analyser ce que ces théories apportent à l'idée de robustesse, ou de vérifier si nous ne cherchons pas à la ramener en terre connue au risque d'en perdre l'élan mobilisateur.

J'ai envie d'oser une approche un peu réductrice : et si l'antinomie de la robustesse était le new management qui a été introduit dans la gestion des établissements scolaires (de tous les niveaux), mais aussi dans tous les organismes qui pratiquent l'éducation (comme les AMO, etc.) ? La robustesse est-elle une adaptation ou une résistance à ce new management ? Et je crois que la réponse n'est pas si simple et qu'elle peut dépendre des théories associées aux sept dimensions. Cette idée m'est venue en lisant les écrits du philosophe Byung-Chul Han. Qui est Byung-Chul Han ? | France Culture. La question qui pourrait être posée serait la suivante : quelles seraient les conditions pour que la robustesse ne renforce pas une culture de la performance dans laquelle chacun est à la fois son bourreau et sa victime ?

Il me semble que l'inachèvement, que je conçois comme une possibilité de travail sur soi sans fin, pourrait être une dimension limite de la robustesse. Elle est en adéquation avec les injonctions à l'innovation et à l'idée que les états stables seraient moins valables que les dynamiques de projet. Car c'est précisément ce qui caractérise un projet, selon moi, que cette mise en cycles. On retrouve ces mises en cycles dans le développement des produits technologiques, qui sont, par nature, en constant développement selon une logique de feedbacks.

heart
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