Avez-vous déjà enseigné avec lenteur ? Revenu·e sur une notion, accepté de ne pas tout couvrir ? Proposé des formats plus expérimentaux, plus ouverts, moins finalisés ? Ces gestes, souvent discrets, portent déjà les germes d’une pédagogie robuste. Partagez-les. Dites-nous ce qui fonctionne, ce qui résiste, ce qui vous inspire.
Je suis emballée par le concept de robustesse qui « dédramatise » certains des choix que j’ai posés dans ma carrière d’enseignante.
En effet, lors de ma nomination, j’ai été chargée d’un cours qui n’avait jamais été donné à l’ULiege et pour lequel on ne m’a fourni qu’un titre (pas de table de matière, pas de prérequis, pas de positionnement clair dans un parcours de formation, …) .
Je l’ai donc créé from scatch à partir de 2 livres de référence.
Ma première approche a été de vouloir voir TOUTE la théorie, de démontrer TOUTES les formules devant les étudiants, de faire un maximum d’exercices, …
Je me suis rendu compte que c’était bcp trop, que les étudiants étaient juste assommés par mes cours, qu’ils réussissaient le cours à force d’étude, mais que, de facto, ils ne comprenaient pas les fondements physiques qui étaient derrière les équations …
Je me suis posé bcp de questions : quel était mon « devoir » en tant que prof ? leur communiquer un max d’informations ? leur permettre d’assimiler les fondements et d’être capables de les exploiter ?
En absence de consignes claires, j’ai fait le choix qui me semblait le bon. J’ai préféré la qualité à la quantité.
J’ai donc élagué, j’ai supprimé les chapitres qui me semblaient les moins intéressants (là j’ai apprécié de ne pas avoir de contrainte 😉), j’ai renoncé à démontrer les équations et à demander aux étudiants de les retenir (l’ensemble des développements sont disponibles pour les étudiants qui veulent vérifier que le lien entre l’équation du début et la solution de la fin est bien correct).
Et j’ai consacré la plupart de mes cours à expliciter de nombreuses fois et de différentes manières les fondements physiques de chaque concept enseigné, en essayant de faire le lien (chaque fois que possible) avec des applications proches d’eux.
A l’issue du cours et de l’évaluation, je suis persuadée que les étudiants ont mieux retenu l’essentiel de la matière. Ils savent par ailleurs qu’ils peuvent retrouver les équations, les développements mathématiques, les solutions si nécessaires.
Les liens établis avec des exemples proches d’eux leur ont fait prendre conscience qu’un même concept peut s’appliquer à des domaines très variés. Ils seront donc capables de les utiliser face à une problématique nouvelle …
Mais j’ai toujours gardé une certaine culpabilité de ne pas voir « toute » la matière.
Aujourd‘hui, je peux justifier mon choix : j’ai choisi la voie de la robustesse 😉
Merci pour cela !
Merci pour ce témoignage, chère Dominique. Sans doute un bel exemple de robustesse sous la contrainte temporelle. Et dans une matière ou on l'imagine moins :)
Allez, maintenant que Dominique a ouvert le feu, j'y vais de mon petit témoignage 😉
Une formation robuste ?
Mon rôle consiste à former des enseignants et des assistants universitaires. Ils sélectionnent, à partir d'un catalogue, les thématiques sur lesquelles ils souhaitent être formés. Les séances durent 3 heures et demie et accueillent une vingtaine de participants. Le présent texte traite de la formation « Introduction à l'évaluation ».
Par ailleurs, je dispense un cours de 2 ECTS sur l'évaluation dans la section psychopédagogique, totalisant ainsi 18 heures de cours. Étant donné que ces étudiants suivent un horaire décalé, je couvre également l'ensemble du contenu par le biais de capsules vidéo que j'ai réalisées à leur intention.
Revenons aux enseignants et assistants universitaires. L'enjeu était simple : comment les former efficacement en 3 heures et demie sur une thématique qui nécessiterait probablement trois ou quatre fois plus de temps pour être pleinement développée ? J'aurais pu tenter de condenser l'essentiel en 3 heures et demie, les saturer d'informations et de présentations PowerPoint. Étant un orateur à l’aise, cela aurait pu être envisageable.
Cependant, j'ai opté pour une stratégie différente. Dès le début de la formation, je les mets par paires et leur demande de partager avec leur binôme une expérience d'évaluation qu'ils estiment avoir mal vécue. Il ne s'agit pas nécessairement d'un échec scolaire (certains relatent d'ailleurs des expériences réussies), mais d'une situation où ils jugent que l'évaluation était de faible qualité. Je leur demande d'exprimer ce sentiment - parfois confus - que l'expérience s'est mal déroulée, de se remémorer les émotions ressenties à l'époque (souvent la colère) ainsi que celles qu'ils éprouvent encore aujourd’hui lorsqu’il se remémorent cet épisode (environ 40 % ressentent encore des émotions négatives). Je leur demande, enfin, de dire si cela a changé leur vie (10 à 20 % affirment que c'est le cas). Ils y consacrent une trentaine de minutes, puis nous passons plus de deux heures à débriefer chacun des cas ainsi amené. Ce n'est pas la personne ayant vécu la situation qui l'explique, mais son binôme. Cette consigne, annoncée dès le début, favorise un réel investissement dans la relation et amorce une première réflexion, à deux, sur le problème inhérent à la situation décrite en des termes liés à l'évaluation. Lors du débriefing, chaque expérience est relatée, suivie d'un débat collectif sur "quel est le problème ?". J'interviens souvent à la fin, en faisant référence à des éléments théoriques de manière orale. Parfois, lorsque le débat le nécessite, je présente un court PowerPoint. En fin de compte, je m'assure que deux PowerPoint de 10 minutes, toujours les mêmes, leur soient présentés, car ils me semblent très structurants. À la fin de la formation, je leur explique que d'autres formations plus spécifiques sur l'évaluation sont proposées (tests standardisés, performances complexes, etc.) et je leur remets l'ensemble des capsules vidéo que j'ai réalisées sur l'évaluation s'ils souhaitent approfondir leurs connaissances.
Pourquoi cette activité s'inscrit-elle, selon moi, dans la robustesse ?
Parce que je ne sais jamais à l'avance ce qui va se passer, je ne suis pas certain que les cas me permettront de « couvrir toute la matière utile ». Certains cas se répètent, tandis que d'autres ne sont guère intéressants à analyser. Il arrive que certains participants monopolisent la parole, et que les débats s'enlisent quelque peu. Ou que le silence prennent pas al de place (ce qui ne me dérange que moyennement). Bien sûr, je suis là pour sortir la formation de ces écueils éventuels, mais ce n'est pas toujours aussi simple qu'il n'y paraît. Parfois, je les laisse avec un sentiment d'inachevé, les incitant à consulter la littérature ou des capsules sur certaines thématiques. Cependant, je leur offre une formation qui allie des éléments cognitifs et socio-affectifs, structurée autour de leur vécu personnel. Ils s'engagent tant sur le plan cognitif qu'émotionnel. Ils montrent souvent une forme de compassion face aux difficultés que certains ont traversées lors d'épisodes évaluatifs.
Je maintiens ce dispositif car il me procure du plaisir et un défi, ce qui n'est pas négligeable, mais aussi parce que je pense que ce plaisir est partagé avec les participants, ce qui est également significatif. Par ailleurs, concernant l'évaluation, je pense qu'il est nécessaire de déconstruire certains biais avant de construire une connaissance. Les enseignants universitaires ont souvent le sentiment d'être de bons évaluateurs parce qu'ils maîtrisent bien la matière. La plupart des exemples cités par les participants étant issus de l'université, cela les déstabilise quelque peu. On constate collectivement, ensuite, que le « stylo rouge » qu'ils ont en main peut causer des dommages importants, et qu'un grand pouvoir implique de grandes responsabilités (comme le dirait très justement le grand philosophe Benjamin Parker 😉 ). Je dispense, par ailleurs, au cours de la formation quelques notions démontrant que l'humain n'est pas un excellent évaluateur (c’est le moins que l’on puisse dire). En somme, je les déstabilise quelque peu pour les reconstruire en évaluateurs plus conscients, plus situés, plus... robustes ? C'est en tout cas mon intention, et je ne pense pas que j’atteindrai cet objectif avec 3h30 d'enseignement frontal basé sur le classique PowerPoint.
Allo, je poursuis ;-)
Je partage une expérience en lien avec la formation en ligne. Mes premières formations à distance, j'avais la sensation de devoir mettre "un maximum" de choses pour que les étudiants n'aient pas la sensation que "le cours était moins bien". Mes premiers essais étaient beaucoup trop volumineux! Les étudiants m'ont fait part de leur impression qu'ils n'avaient jamais mis autant de temps et d'énergie sur un cours. Je proposais également de longues références ou outils complémentaires, au final, les étudiants les consultaient très peu. Ils manquaient de temps!
Au fur et à mesure, j'ai allégé le cours. J'ai accepté de ne pas tout couvrir, mais de solidifier des choses. J'ai accepté de proposer aux étudiants de faire des choix dans certains cadres ou certains modèles. C'est agréable pour certains, un peu douloureux pour d'autres, mais je trouve que ça laisse place à un temps de qualité pour lire, chercher, consulter, penser, construire, échanger...
J'aimerais témoigner ici de la difficulté à adopter une posture d'un enseignement qui serait lent, redondant, incertain, instable... Après avoir traversé un système scolaire modelé par les notions de performance (mon collège annonçait les résultats par ordre décroissant de grade et publiait le résultat des alumni uniquement à l'Université et dans l'ordre des grades), il m'est difficile aujourd'hui d'adopter une posture différente. C'est une difficulté ressentie face à moi-même (accepter de ne rien faire pendant des exercices en groupe par exemple) mais aussi face aux étudiant-es qui attendent des résultats immédiats et mesurables. Certains modèles pédagogiques nous y encouragent d'ailleurs. Se diriger vers une pédagogie de la robustesse me semble donc nécessiter une démarche intérieure de déconstruction d'un système de valeurs parfois profondément ancré. Comment y parvenir? Quels outils utiliser? Ne peut-on compter que sur sa propre réflexivité? Comment se "désamorcer" soi-même?
Tu poses les bonnes questions, cher Marc. À mon avis, une piste de réflexion serait de ne pas systématiquement opposer robustesse et performance. Comme je l'ai mentionné ailleurs, éliminer la notion de performance dans l'enseignement supérieur est inconcevable pour la plupart des enseignants. Cependant, elle pourrait cesser d'être l'unique boussole.
Il sera probablement aussi nécessaire de redéfinir ou de remodeler ce que nous entendons par performance. Car être capable d'agir dans un monde incertain et changeant est, en quelque sorte, une belle performance. Moins directe. Moins mesurable. Moins immédiatement monnayable dans une économie de marché. Mais plus robuste. C'est peut-être en questionnant la notion de performance que nous pourrons progresser.